Au grand Jacques pour mon emprunt honteux
Juchitan
Ici, j’aime être sage, enfin j’essaye ; la ville ne se prête pas aux folies. Les soirs de printemps et d’été, je souffle des rafales courtes apaisantes. Les soirs d’hiver, je tente d’être discret, voire de me taire. Il n’y a qu’à l’automne que je me permets quelques rugissements.
Ici, j’aime chahuter la chevelure des femmes afin d’alléger les puissantes chaleurs. J’aime courir entre les enfants, attraper, voler leurs gouttes de sueur. Au cœur de cet isthme entre deux océans, il est bon de retrouver leur salinité.
À l’est, l’Atlantique, entre Golfe du Mexique et Caraïbes, a cette décontraction que les tropiques offrent aux hommes, tant que je ne me fais pas ouragan.
À l’ouest, le Pacifique est furieux, de ces colères que même le sommeil ne sait calmer.
À si peu d’heure de l’un, à si peu d’heure de l’autre, Juchitan ignore l’un et l’autre. À dire vrai, elle ne se préoccupe que de sa torpeur, que de ses silences, que de sa paix.
Sur le marché, où j’aime taquiner les jupes lourdes des vendeuses, les cris sont harmonieux, voire silencieux. Les mouvements sont sereins, sans obligation. Chacun échange sans accroc, avec la certitude que demain sera comme aujourd’hui, dans cette paix diffuse et paradoxale dans un pays qui vénère les armes et la mort.
Comme moi, le soleil aime y jouer. Ce soir, il dore chaque pierre, chaque bâtiment. Sur le kiosque, on joue Mozart, enfin je crois. Des enfants tournent en rond sur de petites voitures électriques. Je profite qu’une jeune fille boive à la fontaine pour lui mouiller le visage. Que voulez-vous, je suis farceur.
Des femmes marchent, s’assoient, parlent. J’ai la surprise de croiser un vieil homme. Appuyé sur sa canne, il écoute la musique. Pense-t-il à ses garçons dans la folie de Mexico ? Sait-il que c’est parce qu’ils y sont que Juchitan est si différente… calme ?
J’effleure une belle femme, elle me caresse.
Buenos Aires le 31 mai 2014
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